Après avoir largement profité de la sous-couche des silouettes couleur marron moche il est temps de chercher un gris moins moche. Finalement la teinte adoptée est de la nuance exacte de la carrosserie de la voiture affectueusement baptisée "Gris pourri"...

Tant qu'à avoir les mains (et les coudes, et le front...) dedans, je me fends d'un petit passage par l'éponge pour floutifier les silouettes gris clair.

Ame sensible, je te l'accorde. Vu d'aussi près, c'est patachon. Sans vouloir te désoler, de loin ça l'est tout autant. Fois trois, car c'est toujours un triptique.

Quelques heures plus tard...

Manque encore le halo personnel et individuel de chacun des personnages, mais ça avance. Ame sensible, tu apprécieras particulièrement les longues silouettes bleues, à l'arrière-plan. Elles étaient initialement "gris pourri" !

Pour avoir une vue d'ensemble à l'abri du vent et du crachin, j'ai investi la cuisine. Pratique, non ?

Déambuler à travers le Finistère n'est pas tout. Il faut d'abord rejoindre un point de départ initialement repéré à l'aide d'un guide, d'une carte ou du Map'ami qui dit par ou passer... Le tout donnant lieu à un récapitulatif écrit et à un trait de fluoteur sur la carte. N'oublions pas que je suis trèèèèès tête en l'air et qu'un rien me distrait.

Pour te donner une idée de l'ampleur de la difficulté, si je te disais que pour rejoindre Brasparts et son Mont Saint-Michel j'ai fait pas moins de sept étapes. Sept ! En 45 kilomètres. Une tragédie. Mais comprends-moi, je suis passée devant la chapelle Saint-Voarin, à deux pas du Cloître-Pleyben, si jolie dans son écrin de maronniers fleuris...

L'église saint-Blaise, du Cloître-Pleyben. Malgré son clocher élégant du XVIe siècle avec ses galeries à balustre et sa belle tourelle, c'est une des statues du calvaire, lui aussi du XVIe, qui m'a le plus interpellé. Il y a dans les environs des Ty-blaise en veux-tu en voilà.

Cocteau n'est pas loin...

L'église de la Sainte-Trinité, à Lennon. une façade quasi-jésuite, visiblement récupérée sur l'édifice précédent. Devineras-tu qui a commis cette recomposition ? Pas Abgrall, en tout cas. Mais son compère Joseph Bigot.

La chapelle Saint-Nicolas, toujours à Lennon, accompagnée de sa fontaine. La statue et les vitraux relatent les aventures du saint. On y distingue parfaitement les enfants dans le saloir.

Saint-Nicolas, patron des enfants, voyageurs, marins, vitriers, bouchers, et bien d'autres encore... Ame sensible, ne te réjouis pas trop vite, j'ai encore quelques étapes à te raconter avant de clore le sujet !

Par ce grand beau temps, la maison aussi a droit à son bol d'air. Je sors toutes les affaires, pièce par pièce, nettoie et fais sécher. Certains indices ne trompent pas, l'hiver a été humide.

Je mets mon encombrante théorie de pulls à s'aérer sur le fil à linge et en profite pour faire le tri. Un gilet gris, 2 gilets gris, 3, 4... Aux quels s'ajoutent une douzaine de tricots noirs, tous plus boulochés les uns que les autres. J'espérais faire de la place, mais n'ai réussi qu'à opérer deux sacrifices, parmi ceux de plus de vingt ans trop petits depuis des années. Et ils n'étaient même pas gris. Ni noirs. Ni kaki.

Le problème, lorsque je remue tout partout, ce ne sont pas les araignées dérangées, non. Elles tisseront une nouvelle toile dès que j'aurai quitté la pièce. Le problème, c'est de s'arrêter à chaque (re)découverte. Tiens, c'était là, ça ! Oh, des photos. Rien de pire que les photos.

Dans notre chambre, l'horreur absolue. J'ai compté pas moins de 37 tableaux, stockés dans les recoins et sous les meubles. Je les avais oubliés. Eux aussi ont été nettoyés, puis j'ai finalement fait un grand chambardement entre ceux accrochés et ceux qui ne le sont pas, ou plus. Et restocké le surpus encombrant dans les coins.

Ame sensible, ne t'imagine pas que la maison est proprette, à ce rythme-là je n'avance pas beaucoup. Et puis, c'est un classique, la poussière revient toujours pus vite que je ne l'enlève ! Un vrai tonneau des Danaïdes.

Après quelques tours et détours, me voici face à la Tourbière, en pleine zone naturelle protégée. On ne peut pas dire que le tourisme y soit très développé... Tant mieux pour toutes les bestioles qui y grouillent ! C'est un aspect de la région assez peu connu, mais il y a 138 tourbières en Finistère.

Un sentier qui me semble bien vague mais que je surclasserai en boulevard dès rencontrée la suite du parcours...

Le seul panneau rencontré, assez peu engageant au demeurant, mais sans actualité, comme les mises en garde "attention verglas" à l'entrée d'Elliant : le jour choisi pour cette découverte est certainement un des plus sec connu par le marais depuis plusieurs années.

Les passerelles, longues de 2 kilomètres, sont au départ larges et stables, visiblement installées il y a peu, en remplacement de poutres rétrospectivement flippantes. Très vite, elles se rétrécissent pour ne plus faire qu'une trentaine de centimètres de large et ont de plus en plus souvent des lattes brisées. Si je n'ai à aucun moment eu les pieds dans l'eau, la vase était en permanence visible à travers le jour des caillebotis. Le tout dernier tronçon avant de rejoindre la terre ferme au niveau de l'Elez est un bourbier, sec ce jour-là, mais un rien engoissant...

Le Mont Saint-Mikel vu depuis l'écluse. Salut la foule agglutinée là-haut ! Plus de deux heures passées à sillonner le marais et je n'ai rencontré personne. Papillons, libellules et autres trucs vollants, mais d'humains point. Ni de castors, d'ailleurs. Mais le gros du temps, j'ai surtout regardé mes pieds en espérant ne pas faire un pas de côté ou perdre l'équilibre !

Le lac est à quelques brasses, mais à aucun moment accessible. Plusieurs traces serpentent dans sa direction, mais à peine un pied posé sur la sphaigne, l'eau surgit comme d'une éponge et tu comprends tout de suite l'imprudence. Peut-être des sentes d'animaux ? 

Plutôt que de poursuivre mon périple par la crête pour rejoindre le Mont Saint-Mikel, je préfère rebrousser chemin, redescendre et retraverser la tourbière en sens inverse. Cela me rallonge un peu, j'aurai fait au total 20 kilomètres au lieu des 17 prévus, mais je me dis que je n'aurai pas de si tôt l'occasion de revenir dans ce lieu étrange. Malgré le soleil et le gazouilli des oiseaux, j'ai à l'esprit les légendes lugubres liées à ce lieu et me dit qu'en hiver, ce doit être une tout autre ambiance...

Ame sensible, si tu veux jouer à te faire peur, rien de tel que les Légendes de la mort d'Anatole Le Braz. Le Chien noir se déroule justement dans le Yeun Elez. Tu peux aussi te faire une bonne idée du lieu dans le Chien des Baskerville, de Sir Arthur Conan Doyle... même si ce n'est pas tout à fait la Bretagne !

Le mois dernier, le jour de mon anniversaire, j'ai découvert cette jolie babiole posé sur mon bureau. Je l'ai depuis observé sous toutes ses coutures, ai compté le nombre de papiers, et me suis lancée...

Si j'ai bien compris, il faut si carrés pliés en huit.

Six carrés imbriqués les uns dans les autres. Les pinces à linge m'ont aidé quand il m'a semblé que mes deux seules mains n'y suffiraient pas, mais ça s'est fait.

Ame sensible, je te l'accorde, c'est encore mieux avec du joli papier. à motif. Malgré tout, les vieux pense-bête décolorés, ça donne un style suranné qui n'est pas sans intérêt...

Une jolie journée pas trop venteuse, sans pluie ni orage à l'horizon, rien de mieux pour envisager l'ascension d'un des points culminants des Monts d'Arrée, le Mont Saint-Michel de Brasparts et ses 381 mètres. Inratable, planté au milieu du paysage, on aperçoit de loin la chapelle des Bergers plantée à son sommet.

Arrivée au pied de la protubérance, je découvre le sentier assez peu engageant qui serpente au milieu des fougères et des bruyères. Je chemine en profitant assez peu du paysage, occupée que je suis à essayer de ne pas (encore) m'étaler.

Sur les derniers mètres, alors que je ne vois plus que la pente et le ciel, le chemin se transforme en escalier. 149 marches.

Arrivée sur un plat, je me retourne et découvre qu'effectivement, ça monte. Et que la route que j'ai traversée chemin faisant semble ceinturer du Mont. Mais ça, je ne le comprendrai que quelques minutes plus tard.

Je découvre enfin la chapelle... et des grappes humaines, étalées tout autour. Assis, debout, courant, criant, posant fièrement esprit "je suis le roi du monde". C'est que la route mène jusqu'au sommet, le parking légèrement en contre-bas permet de ne pas pourrir la vue, c'est déjà ça.

Cette modeste chapelle, visiblement ancienne, ne peut avoir de lien avec l'ami Abgrall, n'est-ce pas ? Un peu, quand même. Figure-toi que ce site avait été préssenti pour accueillir un monument commémoratif en l'honneur des bretons morts durant la Grande Guerre. Abgrall ayant fait parti de diverses commissions pour la défence du projet architectural de son confrère Chaussepied. Le mémorial, finalement réalisé par un autre architecte, n'a vu le jour que de nombreuses années plus tard et à Sainte-Anne d'Auray... Point de regrets, c'était fort laid.

La vue, à 360°, est magnifique. On embrasse toute la région malgré un léger voile brumeux. Sur place, on devine au sol les traces d'autres constructions, murets, maisons... Tout a été rasé pour pomponner le site. A l'est, le réservoir Saint-Michel et sa presqu'île.

L'étendue de verdure qui mène au lac est une tourbière, le Yeun Elez, du nom de la rivière qui s'échappe du lac, et c'est ce que nous irons voir d'un peu plus près une fois redescendus de ce promontoir surpleuplé. En rouge l'itinéraire supposé de la traversée.

Mais ceci est une autre histoire. Ame sensible, il te faudra patienter quelques jours avant de découvrir les vasières de plus près...

Je ne te l'ai pas précisé, mais tu t'en doutes : je n'ai pas croisé âme qui vive à l'aller comme au retour. Seul le sommet était un rien encombré. A y réfléchir, il s'agissait peut-être une reconstitution du troupeau de mouton qui y paissait autrefois ?

Ce n'est pas parce que mes retards postaux relèvent du grand art que je ne pense pas à toi, ma Léontine ! Tu l'auras compris, inutile de guetter le facteur, la jolie carte enrubannée n'est partie qu'aujourd'hui... Alors voici un p'tit collage pour te faire patienter.

Comment cela, tu vois flou ? Vérifie que tes lunettes sont bien au bout de ton nez. Ce n'est sûrement pas ma photo qui est ratée !

Je te l'avais dit, avec les lunettes, c'est mieux. Ne voit aucun message subliminal dans le choix des images, j'ai simplement fait se cotoyer des couleurs appartenant plus ou moins à ta gamme chromatique personnelle. Avec quand même des chaises de jardin au milieu, je n'ai pas su résister.

Tant qu'à faire chauffer la paire de ciseaux, j'en ai profité pour terminer celui-ci, avec cette fois mes propres couleurs de prédilection, chaudes, fanées, en camailleux de bruns et gris. Ame sensible, tu apprécieras la faible proportion de noir que jy ai fait figurer. oeil de lynx, tu as reconnu l'échauguette du pont Médard ?

Le jardin ne ressemble pas à grand chose, mais au moins les fruits rouges, eux, prospèrent et mûrissent. Casseilles, framboises et cassis.

Surtout les cassis ! Une vraie madeleine de Proust. Tu te rappelles du jardin de la Ferté avec son mur du fond couvert de cassissiers ? Rien que l'odeur des feuilles me rappelle les petits déjeuners d'été avec son bol de baies fraîchement cueillies par Odette, noyées dans le sucre, au jus qui fait saliver...

Ame sensible, tu te demandes bien où se niche ce petit coin de paradis...

La Ferté ? Mais oui, un raccourci familier pour la Ferté-Milon, riante bourgade de l'Aisne, au bord du canal de l'Ourq. Région ? La Picardie, pour faire plaisir à Ktoche. Patrie de Jean Racine, celui à perruque bouclée, des vieux billets de 50 francs (fastoche, il a sa statue près de l'écluse).

A force de cotoyer par la pensée notre abbé cycliste, d'énumérer la litanie des lieux qu'il a visité, il est bien naturel de se demander sur quel genre de machine il circulait. Voici une première piste pour se mettre dans l'ambiance, trouvé dans l'annexe au catalogue de la manufacture d'armes de Saint-Etienne de 1896.

Notre expert es-excursions cyclopédiques nous précise qu'il existait des modèles pour hommes, différents des modèles pour femmes... et ecclésiastiques. Soutane oblige.

L'éclairage nocturne, indispensable, en parfaite cohérence avec la lanterne magique qui permettait à l'ami Abgrall de projeter ses diapositives. Ce qui nous amène à nous demander comment il transportait tout son matériel pour aller sur le terrain. Chambre noire, plaques de verre,... Toutes choses encombrantes, lourdes et fragiles.

C'est dans un numéro du Magasin pittoresque de 1863 que j'ai trouvé un début de réponse : la panoplie de voyage du parfait photographe. A l'époque, il s'agissait encore d'enduire ses plaques de colodion humide, mais l'encombrement doit être sensiblement la même.

Les instruments sonores s'accordent eux aussi parfaitement au personnage qui rythmait les excursions organisées pour les membres de la Société archéologique du Finistère d'énergiques coups de cloche ! Savais-tu qu'à l'époque le garde-boue s'appelait un... garde-crotte ? Poétique !

Dèjà, des tenues spécialement adaptées à la pratique sportive du cyclisme, pratique de loisir que l'on peut supposer confidentielle proportionnellement à l'usage répandu de la bicylclette comme moyen de transport... D'ailleurs, ne soyons pas naïves, l'abbé Abgrall ne se déplaçait pas uniquement à vélo. On le sait, ne serait-ce que par les nombreux titres de transports et indicateurs des chemins de fer retrouvés dans ses archives. Le train et l'autocar, combinés à la marche à pied (chaussé de soques de bois), étaient aussi de bon moyens de parcourir la région.

Ame sensible, je te le dis, je ne ferai pas le circuit long de 92 kilomètres concocté par le cycliste en chef pour parcourir Quimper et sa banlieue 120 ans après Abgrall... Non, vraiment pas, même avec une gorgé de "Kola vélo" :

"Accélérateur instantané à l'extrait de la noix de kola fraîche, c'est le dynamogène le plus puissant, l'antidéperditeur le plus parfait et le plus économique, indispensable à tous les sportmen, chasseurs, vélocipédistes, voyageurs, alpins, soldats en campagne, etc. Préparé d'après les procédés et sous le contrôle du docteur Vélo, lauréat de l'Académie de médecine." Tout un programme...

Groona rentre ce soir, il va falloir d'urgence songer à remplir le réfrigérateur. Ame sensible, sans vouloir t'affamer, on aurait encore pu tenir une semaine, il reste aussi deux pommes ridées et du pain de mie rassi.